“ Cours d’eau ”

La grande simplicité, l’uniformité même, on peut dire, qui existe dans la désignation des forêts, se trouve dans la formation du nom des eaux, et cette analogie fait présumer que tout le vocabulaire a surgi à une même époque.

Ce sont, chez la plupart, les désinences qui indiquent l’eau.

La principale est One et ses quelques variantes, venant de la racine Ona :

Divona, celtica lingua fons addite Divis ; noms de rivières, de ruisseaux, de fontaines et de beaucoup de lieux dits ainsi, sans doute du voisinage d’une source.

Parmi les rivières et ruisseaux , la Béone , Bidonne , Beauronne , Conne , Dordogne [Duranius, Dorononia) , la Drone [Druna, Drona) , Gardonne, Gardonette , Lisonne ou Risonne , Nizonne , etc.  Pour les lieux, c’est Vésone, Narbonne, etc.

En s’éloignant un peu plus de Ona, on trouve la finale Olle, à laquelle nous devons la Colle ; et par le changement de la voyelle, Coly « Colly »

Dou est un nom indicatif de sources : la Dou, le Caudou, le Béouradou, etc. Cette racine reparaît avec suppression de la consonne : le Céou, le Bélingou ; puis avec une finale plus douce : la Couze et le Couzeau, la Douze et la Douzelle, la Valouze, la Baûze, etc.

      Logiquement en Périgord, la quasi-totalité des toponymes ont deux formes. L’une est la forme francisée, reconnue officiellement par les Pouvoirs publics, et dont la fixation écrite et orale est rarement antérieure à la fin du XVIII<sup>è</sup> siècle. L’autre est la forme occitane, dont la souche écrite figure très souvent dans les textes anciens, et qui s’est ensuite transmise oralement de génération en génération. Les noms occitans des 557 communes et des milliers de lieux-dits du Périgord ne disposent pour l’heure d’aucun caractère officiel ; leur recensement et leur restitution dans la graphie normalisée ont fait l’objet de travaux récents.

La formation des noms de lieux du Périgord coïncide avec ses différentes strates de peuplement depuis la nuit des temps. Les toponymes les plus anciens sont ainsi antérieurs à la civilisation celtique, et constituent très vraisemblablement des vestiges de la, ils désignent les éléments géographiques les plus immuables, à savoir les reliefs et les cours d’eau. Ainsi, on retrouve la racine kal (pierre, rocher) dans Calés (Calès) et dans Chalés (Chaleix) ; de même, la racine sar (ligne de crêtes, hauteurs) est visible dans Sarlat (Sarlat) et dans Sarlande (Sarlande). Les noms des principaux cours d’eau du département sont également construits sur une base préceltique : dur (eau) a donné Dordonha (la Dordogne), Drona (la Dronne) ou encore Dròt (le Dropt) ; vis (rivière) se retrouve dans Vesera (la Vézère) et dans Auvesera (l’Auvézère) ;   enfin, l’élément el  est vraisemblablement à l’origine d’Eila (l’Isle), comme ailleurs pour l’Elle, l’Ille ou l’Allier.

La période celtique a laissé un nombre considérable de traces toponymiques. Au premier rang d’entre elles figure le nom Perigòrd (Périgord), qui procède d’une lente évolution de Petrocorii (« les quatres clans »), peuple gaulois dont provient également Périgueux, dont la forme occitane Perigüers remonte au XIV <sup>è</sup> siècle. La langue gauloise est directement à l’origine de Condat (condate, confluent), de Beurona (Beauronne, biber-onna, la rivière des castors), d’Al Buga (Le Bugue, albuca, marne, terre argileuse) ou encore des nombreux lieux-dits dénommés Chambon (cambo, méandre). On lui doit aussi la série des toponymes construits sur le suffixe -ialo (clairière, terre défrichée), dont la forme occitane –uelh a généralement été francisée en -euil : Maruelh (Mareuil, maros-ialo, la grande clairière), Valuelh (Valeuil, aballos-ialo, la clairière des pommiers), Eissiduelh (Excideuil, dont l’étymologie reste incertaine). Enfin, la langue celtique est à l’origine de nombreux toponymes liés au cadre naturel, et passés en occitan sous une forme latinisée : vaur (ravin) a donné La Vaur (Lavaur), Bruelh (Breuil) représente le substantif bruelh (bosquet, bois clos), et Vern (Vergt) reprend la forme occitane ancienne de vernhe (aulne).

L’époque gallo-romaine est particulièrement marquée par la formation des noms en -ac, si répandus en Périgord (près d’une commune sur cinq). Ce suffixe est la contraction du latin -acum, avec le sens de « domaine, grande propriété ». Ainsi, Brageirac (Bergerac) était « le domaine de Bracarius », Bassilhac (Bassillac) garde la mémoire de Bassillius, Salanhac (Salignac) celle de Salanius, et Marsac appartenait à un certain Marcius. Quelques mots latins spécifiques se retrouvent dans l’étymologie de plusieurs communes ou lieux-dits : castra(camp fortifié) a donné Chastra (Châtres), mais aussi Carluç (Carlux) sous une forme diminutive ; vicus(village) est à l’origine de Nuòu Vic (Neuvic, nouveau village), mais aussi de Vièlh Vic (Vielvic, village ancien) et tout simplement de Vic (Vicq) ; villa(propriété agricole) se retrouve dans Bonavila (Bonneville, le bon domaine) ou dans Vila Torrés (Villetoureix, le domaine de la tour).

Du royaume wisigoth (Ve -VIe siècles) ne subsistent que quelques toponymes d’origine germanique, presque tous liés à des noms de personne : Dovila (Douville, la villad’un nommé Deudo), Airenvila (Eyrenville, celle d’un certain Hairingus) ou encore Vila Amblard (Villamblard, le domaine d’Amalhard). Une autre série fait appel au suffixe germanique -ingos (« qui appartient à »), occitanisé en -ens : Mausens (Mauzens, le bien de Mausos), mais aussi Festalens (Festalemps, le bien de Festila) et Vansens (Vanxains, celui d’Avanssos).

A partir des IX<sup>è</sup> et X<sup>è</sup> siècles, les toponymes nouveaux vont être formés à partir du registre occitan. De même, tous les noms de lieux antérieurs seront occitanisés, le plus souvent par évolution des formes latinisées. Parmi les termes les plus fréquents, nous citerons Puei (francisé en Puy, colline) et son équivalent languedocien Puèg (Pech), Mont (mont), Valada (Valade, vallée), Cròs (Cro ou Cros, trou, cavité), Peira / Pèira (Peyre, pierre), Font (source, fontaine), Prada (Prade, prairie), Vinhau / Vinhal (Vignaud, Vignal, parcelle de vigne), Farja / Farga (Farge, Fargue, forge), Bòrda (Borde, ferme), Bòsc (Bost ou Bos, bois), Fàia (Faye, bois de hêtres),…

L’une des séries les plus prolifiques de l’époque médiévale concerne les noms de domaines construits sur le nom du propriétaire avec l’article la (parfois las) et le suffixe -iá (respectivement -iás) : La Martiniá (La Martinie, le domaine de Martin), La Peironiá (La Peyronnie, le domaine de Peiron), La Gontariá (La Gonterie, celui de Gontier), mais aussi Las Aisiás (Les Eyzies, les domaines de la famille Aitz), etc… C’est aussi au Moyen-Âge que beaucoup de paroisses prendront le nom d’un saint protecteur : en Périgord, cette pratique a été particulièrement courante, au point de concerner aujourd’hui une commune sur quatre. A ce sujet, il est plaisant de constater que dans la liste des « saints » du Périgord, les plus répandus (Sent Joan, Sent Peir, Sent Laurenç, Sent Martin,…) côtoient les plus humbles (Sent Marcòri, Sent Cassian, Senta Mundana,…) ; on y trouve également des saints ayant changé de sexe : Senta Eulàlia (Eulalie) francisée en Saint-Aulaye, Sent Trían (Trojan) féminisé en Sainte-Trie ; on y rencontre enfin des saints n’ayant jamais existé : Sengeirac, canonisé en Saint-Geyrac.

A l’orée du XVI<sup>è</sup> siècle, sous la pression du pouvoir royal, va s’amorcer un lent mouvement de francisation des toponymes occitans. Limité à l’origine aux textes administratifs, ce mouvement va s’accentuer au fur et à mesure de la diffusion du français dans la noblesse et la bourgeoisie. Il prendra toute son ampleur aux époques révolutionnaire et napoléonienne, dans le cadre des politiques d’uniformisation territoriale (création des communes, levée des cartes d’état-major,…) et n’a cessé depuis lors (gestion du code officiel géographique, francisation phonétique de certains lieux-dits,…).